Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/308

Cette page a été validée par deux contributeurs.

quelques mots de ces deux institutions si vantées.

L’ostracisme d’Athènes reposait sur l’hypothèse que la société a toute autorité sur ses membres. Dans cette hypothèse, il pouvait se justifier ; et dans un petit État, où l’influence d’un individu, fort de son crédit, de sa clientèle, de sa gloire, balançait souvent la puissance de la masse, l’ostracisme pouvait avoir une apparence d’utilité. Mais, parmi nous, les individus ont des droits que la société doit respecter, et l’influence individuelle est, comme je l’ai déjà observé, tellement perdue dans une multitude d’influences, égales ou supérieures, que toute vexation, motivée sur la nécessité de diminuer cette influence, est inutile et par conséquent injuste. Nul n’a le droit d’exiler un citoyen, s’il n’est pas condamné par un tribunal régulier, d’après une loi formelle qui attache la peine de l’exil à l’action dont il est coupable. Nul n’a le droit d’arracher le citoyen à sa patrie, le propriétaire à ses terres, le négociant à son commerce, l’époux à son épouse, le père à ses enfants, l’écrivain à ses méditations studieuses, le vieillard à ses habitudes. Tout exil politique est un attentat politique. Tout exil prononcé par une assemblée pour de prétendus motifs de salut public est un crime de cette assemblée contre le salut public, qui n’est jamais que dans le respect des lois, dans l’observance des formes, et dans le maintien des garanties.

La censure romaine supposait, comme l’ostracisme, un pouvoir discrétionnaire. Dans une république dont tous les citoyens, maintenus par la pauvreté dans une simplicité extrême de mœurs, habitaient la même ville, n’exerçaient aucune profession qui détournât leur attention des affaires de l’État, et se trouvaient ainsi constamment spectateurs et juges de l’usage du pouvoir public, la censure pouvait d’une part avoir plus d’influence, et