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toutes les passions humaines, son avidité de les asservir toutes, ses principes exagérés sur la compétence de la loi, la différence de ce qu’il recommandait et de ce qui avait existé, ses déclamations contre les richesses et même contre la propriété, toutes ces choses devaient charmer des hommes échauffés par une victoire récente, et qui, conquérants de la puissance légale, étaient bien aises d’étendre cette puissance sur tous les objets. C’était pour eux une autorité précieuse que celle de deux écrivains, qui, désintéressés dans la question, et prononçant anathème contre le despotisme des hommes, avaient rédigé en axiome le texte de la loi. Ils voulurent donc exercer la force publique, comme ils avaient appris de leurs guides qu’elle avait été jadis exercée dans les États libres. Ils crurent que tout devait encore céder devant la volonté collective, et que toutes les restrictions aux droits individuels seraient amplement compensées par la participation au pouvoir social.

Vous savez, Messieurs, ce qui en est résulté. Des institutions libres, appuyées sur la connaissance de l’esprit du siècle, auraient pu subsister. L’édifice renouvelé des anciens s’est écroulé, malgré beaucoup d’efforts et beaucoup d’actes héroïques qui ont droit à l’admiration. C’est que le pouvoir social blessait en tout sens l’indépendance individuelle sans en détruire le besoin. La nation ne trouvait point qu’une part idéale à une souveraineté abstraite valût les sacrifices qu’on lui commandait. On lui répétait vainement avec Rousseau : les lois de la liberté sont mille fois plus austères que n’est dur le joug des tyrans. Elle ne voulait pas de ces lois austères, et, dans sa lassitude, elle croyait quelquefois que le joug des tyrans serait préférable. L’expérience est venue et l’a détrompée. Elle a vu que l’arbitraire des hommes était pire encore que les plus mauvaises