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comme le dit Condorcet, n’avaient aucune notion des droits individuels. Les hommes n’étaient, pour ainsi dire, que des machines dont la loi réglait les ressorts et dirigeait les rouages. Le même assujettissement caractérisait les beaux siècles de la république romaine ; l’individu s’était en quelque sorte perdu dans la nation, le citoyen dans la cité.

Nous allons actuellement remonter à la source de cette différence essentielle entre les anciens et nous.

Toutes les républiques anciennes étaient renfermées dans des limites étroites. La plus peuplée, la plus puissante, la plus considérable d’entre elles n’était pas égale en étendue au plus petit des États modernes. Par une suite inévitable de leur peu d’étendue, l’esprit de ces républiques était belliqueux ; chaque peuple froissait continuellement ses voisins ou était froissé par eux. Poussés ainsi par la nécessité les uns contre les autres, ils se combattaient ou se menaçaient sans cesse. Ceux qui ne voulaient pas être conquérants ne pouvaient déposer les armes sous peine d’être conquis. Tous achetaient leur sûreté, leur indépendance, leur existence entière, au prix de la guerre. Elle était l’intérêt constant, l’occupation presque habituelle des États libres de l’antiquité. Enfin, et par un résultat également nécessaire de cette manière d’être, tous ces États avaient des esclaves. Les professions mécaniques, et même, chez quelques nations, les professions industrielles étaient confiées à des mains chargées de fers.

Le monde moderne nous offre un spectacle complètement opposé. Les moindres États de nos jours sont incomparablement plus vastes que Sparte ou que Rome durant cinq siècles. La division même de l’Europe en plusieurs états, est, grâce aux progrès des lumières, plutôt apparente que réelle. Tandis que chaque peuple, au-