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son repos et de sa fortune, il prend le chemin de l’exil. Dans les Cent-Jours, il rédige l’Acte additionnel, parce qu’il regarde comme un devoir, sous la menace d’une invasion prochaine, de réconcilier la France et l’Empire. Napoléon tombe, il accepte la Restauration, en prenant acte de ses promesses ; mais la Restauration manque à la parole jurée, elle s’écarte du pacte qui la lie à la nation, et il la combat, comme il avait combattu la République et l’empire, quand ils s’étaient égarés dans les voies fatales de la violence et de l’arbitraire.

Machiavel, Bossuet et Montesquieu résument la politique du passé ; Benjamin Constant résume la politique du dix-neuvième siècle[1]. Par l’étendue de la pensée et la précision du style, il est de la famille de ces maîtres ; mais il a sur eux l’avantage d’avoir été spectateur des plus grands et des plus terribles drames du monde moderne. Tout en s’enfermant dans le système de la monarchie constitutionnelle, il le dépasse et le domine par une vue générale de tous les faits qui peuvent se produire dans le gouvernement des peuples. Il cherche la cause de nos catastrophes avec une impartialité souveraine ; et pour la trouver, il élève la politique à la hauteur d’une science exacte, il en écarte la force et le hasard, la ramène à des principes immuables, et n’admet pas que la vérité et la puissance absolues se rencontrent dans les conceptions exclusives des partis. Aux théoriciens du droit divin ou de la souveraineté populaire, il répond « qu’il n’y a de divin que la divinité, de souverain que la justice. » — Des garanties inviolables, des lois qui sauvegardent les intérêts légitimes et les droits de tous et qui imposent le respect par leur équité même, des pouvoirs nettement définis, responsables, n’agissant que dans la sphère d’action qui leur est assignée par un pacte organique, la conscience libre, l’individu libre dans tous les actes qui ne nuisent point à autrui, voilà ce que veut

  1. Il a dit, en parlant de lui-même, qu’il était le maître d’école de la liberté, et il a eu raison de le dire. Il est impossible, en effet, parmi les écrivains de son temps, d’en trouver un seul qui ait fait plus pour elle, et qui en ait exposé et défendu les principes avec plus d’autorité et de raison. On a peine à comprendre comment, e, présence de ce fait incontestable, et qui domine son œuvre et sa vie, des critiques en quête des petites misères de la vie humaine se sont fourvoyés, pour le rabaisser, dans l’analyse de correspondances féminines, qui ne prouvent rien de ce qu’ils voulaient prouver.