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térêt des acheteurs est une bien plus sûre garantie de la bonté des productions que des règlements arbitraires, qui, partant d’une autorité qui confond nécessairement tous les objets, ne distinguent point assez les divers métiers, et prescrivent souvent un apprentissage aussi long pour les plus aisés que pour les plus difficiles. Il est bizarre d’imaginer que le public est un mauvais juge des ouvriers qu’il emploie, et que le gouvernement, qui a tant d’autres affaires, saura mieux quelles précautions il faut prendre pour apprécier leur mérite. Il ne peut que s’en remettre à des hommes qui, formant un corps dans l’État, ont un intérêt différent de la masse du peuple, et qui, travaillant d’une part à diminuer le nombre des producteurs, et de l’autre à faire hausser le prix des productions, les rendent à la fois plus imparfaites et plus coûteuses. L’expérience a partout prononcé contre l’utilité prétendue de cette manie réglementaire. Les villes d’Angleterre où l’industrie est la plus active, qui ont pris dans un temps très-court le plus grand accroissement, et où le travail a été porté au plus haut degré de perfection, sont celles qui n’ont point de chartes[1] et où il n’existe aucune corporation[2].

  1. Birmingham, Manchester. Voir l’ouvrage de M. Baert.
  2. La plus sacrée et la plus inviolable de toutes les propriétés de l’homme est celle de sa propre industrie, parce qu’elle est la source originaire de toutes les autres propriétés. Le patrimoine du pauvre est dans la force et l’adresse de ses mains et empêcher d’employer cette force et cette adresse de la manière qu’il trouve la plus convenable, tant qu’il ne porte de dommage à personne, est une violation manifeste de cette propriété primitive. C’est une usurpation criante sur la liberté légitime tant de l’ouvrier que de ceux qui seraient disposés à lui donner du travail : c’est empêcher à la fois l’un de travailler comme il le juge à propos, et l’autre de choisir qui bon lui semble. On peut en toute sûreté s’en fier à la prudence de celui qui occupe un ouvrier, pour décider si cet ouvrier mérite de l’emploi, puisqu’il y va de son intérêt. Cette sollicitude qu’affecte le législateur pour prévenir qu’on n’emploie des