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Beaucoup de gens mettent moins d’importance à la liberté d’industrie qu’aux autres genres de liberté. Cependant, les restrictions qu’on y apporte entraînent des lois si cruelles que toutes les autres s’en ressentent[1]. Voyez en Portugal le privilège de la compagnie des vins occasionner d’abord des émeutes, nécessiter, par ces émeutes, des supplices barbares, décourager le commerce par le spectacle de ces supplices, et porter enfin, par une suite de contraintes et de cruautés, une foule de propriétaires à arracher eux-mêmes leurs vignes, et à détruire, dans leur désespoir, la source de leurs richesses, pour qu’elles ne servissent plus de prétexte à tous les genres de vexations. Voyez en Angleterre les rigueurs, les violences, les actes arbitraires que traîne à sa suite, pour se maintenir, le privilège exclusif de la compagnie des Indes. Ouvrez les statuts de cette nation, d’ailleurs humaine et libérale, vous y verrez la peine de mort prodiguée à des actions qu’il est impossible de considérer comme des crimes. Lorsqu’on parcourt l’histoire des établissements anglais dans l’Amérique septentrionale, on voit, pour ainsi dire, chaque privilège suivi de l’émigration des individus non privilégiés. Les colons fuyaient devant les restrictions commerciales, abandonnant les terres qu’ils achevaient à peine de défricher, pour retrouver la liberté dans les bois, et demandant à la nature sauvage une retraite contre les persécutions de l’état social.

Si le système prohibitif n’a pas anéanti toute l’industrie des nations qu’il vexe et qu’il tourmente, c’est,

  1. Benjamin Constant fait ici allusion aux lois d’Élisabeth et de Charles II qui déclaraient entre autres l’exportation de la laine un crime capital. Nous n’avons pas besoin de dire que ces lois sont abrogées.
    (Note de l’éditeur.)