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Les privilèges ne doivent pas être séparés des prohibitions, parce que, nécessairement, ils les impliquent.

Or, qu’est-ce qu’un privilège en fait d’industrie ? C’est l’emploi de la force du corps social pour faire tourner, au profit de quelques hommes, les avantages que le but de la société est de garantir à l’universalité des membres : c’est ce que faisait l’Angleterre lorsque, avant l’union de l’Irlande à ce royaume, elle interdisait aux Irlandais presque tous les genres de commerce étranger ; c’est ce qu’elle fait aujourd’hui, lorsqu’elle défend à tous les Anglais de faire aux Indes un commerce indépendant de la compagnie qui s’est emparée de ce vaste monopole ; c’est ce que faisaient les bourgeois de Zurich avant la révolution de la Suisse, en forçant les habitants des campagnes à ne vendre qu’à eux seuls presque toutes leurs denrées et tous les objets qu’ils fabriquaient.

Il y a manifestement injustice en principe. Y a-t-il utilité dans l’application ? Si le privilège est le partage d’un petit nombre, il y a sans doute utilité pour ce petit nombre ; mais cette utilité est du genre de celle qui accompagne toute spoliation. Ce n’est pas celle qu’on se propose, ou du moins qu’on avoue se proposer. Y a-t-il utilité nationale ? Non, sans doute ; car, en premier lieu, c’est la grande majorité de la nation qui est exclue du bénéfice. Il y a donc perte sans compensation pour cette majorité. En second lieu, la branche d’industrie ou de commerce qui est l’objet du privilège est exploitée plus négligemment et d’une manière moins économique par des individus dont les gains sont assurés par l’effet seul du monopole, qu’elle ne le serait si la concurrence obligeait tous les rivaux à se surpasser à l’envi par l’activité et par l’adresse. Ainsi, la richesse nationale ne retire pas de cette industrie tout le parti qu’elle pour-