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Considérez de plus que, de tous les auteurs, les journalistes seront nécessairement les plus réservés sur la calomnie, si les lois sont bien faites, et si leur application est prompte et assurée. Les journaux ne peuvent pas s’imprimer clandestinement. Les propriétaires et les rédacteurs sont connus du gouvernement et du public. Ils offrent plus de prise à la responsabilité qu’aucune autre classe d’écrivains, car ils ne peuvent jamais se soustraire à l’action légale de l’autorité.

Voilà ma réponse pour ce qui constitue la calomnie et la diffamation proprement dites[1]. Quant aux attaques

    bunaux, quelle que fût leur forme, ont parfois condamné des innocents ; on pourrait supprimer les tribunaux. Les armées ont souvent commis de très-grands désordres, on pourrait supprimer les armées. La religion a causé la Saint-Barthélemy, on pourrait supprimer la religion. Chacune de ces suppressions nous délivrerait des inconvénients que la chose entraîne ; il n’y a que deux difficultés : c’est que dans plusieurs cas la suppression est impossible, et que, dans ceux où elle est possible, la privation qui en résulte est un mal qui l’emporte sur le bien.

  1. On regarde une loi précise contre la calomnie comme très-difficile à rédiger. Je crois que le problème peut se résoudre d’un mot. Les actions des particuliers n’appartiennent point au public. L’homme auquel les actions d’un autre ne nuisent pas n’a pas le droit de les publier. Ordonnez que tout homme qui insérera dans un journal, dans un pamphlet, dans un livre, le nom d’un individu, et racontera ses actions privées, quelles qu’elles soient, lors même qu’elles paraîtraient indifférentes, sera condamné à une amende, qui deviendra plus forte, en raison du dommage que l’individu nommé sera exposé à éprouver. Un journaliste ou un écrivain qui déroberait les livres de compte d’un banquier et les publierait, serait certainement coupable, et je crois que tout juge devrait le condamner. La vie privée d’un homme, d’une femme, d’une jeune fille leur appartiennent, et sont leur propriété particulière, comme les comptes d’un banquier sont sa propriété. Nul n’a le droit d’y toucher. On n’oblige un négociant à soumettre ses livres à des étrangers que lorsqu’il est en faillite. De même, on ne doit exposer au public la vie privée d’un individu que lorsqu’il a commis quelque faute qui rend l’examen de cette vie privée nécessaire. Tant qu’un homme n’est traduit devant aucun tribunal, ses secrets sont à lui, et quand il est traduit devant un tribunal, toutes