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ments de la capitale ; mais il ne vint dans la tête de personne que le gouvernement fût menacé. Le roi et le parlement, à vingt milles de Londres, ou même, en supposant (ce qui n’était pas) qu’une portion du parlement eût trempé dans la sédition, la portion saine de cette assemblée avec le roi, se seraient retrouvés en pleine sûreté.

D’où vient cette différence ? De ce qu’une opinion nationale indépendante du mouvement donné à la capitale existe en Angleterre d’un bout de l’île à l’autre, et jusque dans le plus petit bourg des Hébrides. Or, quand un gouvernement repose sur une opinion répandue dans tout l’empire, et qu’aucune secousse partielle ne peut ébranler, sa base est dans l’empire entier. Cette base est large, et rien ne peut le mettre en péril. Mais, quand l’opinion de tout l’empire est soumise à l’opinion apparente de la capitale, ce gouvernement n’a sa base que dans cette capitale. Il est, pour ainsi dire, sur une pyramide, et la chute de la pyramide entraîne le renversement universel.

Certes, il n’est pas désirable pour une autorité qui ne veut ni ne peut être tyrannique, pour une autorité qui ne veut ni ne peut gouverner à coups de hache ; il n’est pas désirable, dis-je, pour une telle autorité, que toute la force morale de trente millions d’hommes soit l’instrument aveugle d’une seule ville, dont les véritables citoyens sont très-bien disposés, sans doute, mais où viennent affluer de toutes parts tous les hommes sans ressource, tous les audacieux, tous les mécontents, tous ceux que leurs habitudes rendent immoraux, ou que leur situation rend téméraires.

Il est donc essentiel pour le gouvernement qu’on puisse créer dans toutes les parties de la France une opinion juste, forte, indépendante de celle de Paris sans