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rence, pour le système qui veut mettre les journaux sous l’empire de l’autorité. Ce n’est que lorsque j’aurai développé les résultats de ce système que ses inconvénients seront manifestes.

Il ne faut pas se le dissimuler, les journaux, agissent aujourd’hui exclusivement sur l’opinion de la France. La grande majorité de la classe éclairée lit beaucoup moins qu’avant la révolution. Elle ne lit presque point d’ouvrage d’une certaine étendue. Pour réparer ses pertes, chacun soigne ses affaires : pour se reposer de ses affaires, chacun soigne ses plaisirs. L’égoïsme actif et l’égoïsme paresseux se divisent notre vie. Les journaux qui se présentent d’eux-mêmes, sans qu’on ait la peine de les chercher ; qui séduisent un instant l’homme occupé, parce qu’ils sont courts, l’homme frivole, parce qu’ils n’exigent point d’attention ; qui sollicitent le lecteur sans le contraindre, qui le captivent, précisément parce qu’ils n’ont pas la prétention de l’assujettir, enfin qui saisissent chacun avant qu’il soit absorbé ou fatigué par les intérêts de la journée, sont à peu près la seule lecture. Cette assertion, vraie pour Paris, l’est encore bien plus pour les départements. Les ouvrages dont les journaux ne rendent pas compte restent inconnus ; ceux qu’ils condamnent sont rejetés.

Au premier coup d’œil, cette influence des journaux paraît inviter l’autorité à les tenir sous sa dépendance. Si rien ne circule que ce qu’ils insèrent, elle peut, en les subjuguant, empêcher la circulation de tout ce qui lui déplaît. On peut donc voir dans cette action de l’autorité un préservatif efficace.

Mais il en résulte que l’opinion de toute la France est le reflet de l’opinion de Paris.

Durant la révolution, Paris a tout fait, ou, pour parler plus exactement, tout s’est fait au nom de Paris, par