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l’intéresse. Les représentants du peuple et le gouvernement voient à la fois et tous les côtés de chaque question présentés, et toutes les opinions attaquées et défendues. Ils apprennent non-seulement toute la vérité, mais, ce qui est aussi important que la vérité abstraite, ils apprennent comment la majorité qui écrit et qui parle considère la loi qu’ils vont faire, la mesure qu’ils vont adopter. Ils sont instruits de ce qui convient à la disposition générale ; et l’accord des lois avec cette disposition compose leur perfection relative, souvent plus essentielle à atteindre que la perfection absolue. Or, la censure est au moins un retard. Ce retard vous enlève tous ces avantages. La loi se décrète, et les écrits qui auraient éclairé les législateurs deviennent inutiles : tandis qu’une semaine plus tôt ils auraient indiqué ce qu’il fallait faire, ils provoquent seulement la désapprobation contre ce qui est fait. Cette désapprobation paraît alors une chose dangereuse. On la considère comme un commencement de provocation à la désobéissance.

Aussi savez-vous ce qui arrive toujours, quand il y a une censure préalable ? Avant qu’une loi ne soit faite, on suspend la publication des écrits qui lui seraient contraires, parce qu’il ne faut pas décréditer d’avance ce qu’on veut essayer. La suspension paraît un moyen simple et doux, une mesure passagère. Quand la loi est faite, on interdit la publication, parce qu’il ne faut pas écrire contre les lois.

Il faudrait ne point connaître la nature humaine pour ne pas prévoir que cet inconvénient se reproduira sans cesse. Je veux supposer tous les ministres toujours animés de l’amour du bien public : plus leur zèle sera vif et pur, plus ils désireront écarter ce qui pourrait nuire à l’établissement de ce qui leur semble bienfaisant, nécessaire, admirable.