Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

times, n’ayant maintenant plus rien à risquer, dépassera ces bornes pour donner à son écrit plus de vogue, et parce qu’il sera aigri ou troublé par le danger même qu’il affronte. L’écrivain qui s’est une fois résigné à braver la loi, en s’affranchissant de la censure, n’a aucun intérêt ultérieur à respecter cette loi dans ses autres dispositions. L’auteur qui écrit publiquement est toujours plus prudent que celui qui se cache. L’auteur résidant à Paris est plus réservé que celui qui se réfugie à Amsterdam ou à Neufchâtel.

Le gouvernement se convaincra donc, j’en suis sûr, de la nécessité de laisser une liberté entière aux brochures et aux pamphlets, sauf la responsabilité des auteurs et imprimeurs, parce qu’il verra que cette liberté est le seul moyen de nous préserver de la licence des libelles imprimés dans l’étranger ou sous une rubrique étrangère : et il accordera encore cette liberté, parce que la réflexion lui démontrera que toute censure, quelque indulgente ou légère qu’elle soit, ravit à l’autorité, ainsi qu’au peuple, un avantage important, surtout dans un pays où tout est à faire ou à modifier, et où les lois, pour être efficaces, doivent non-seulement être bonnes, mais conformes au vœu général.

C’est quand une loi est proposée, quand ses dispositions se discutent, que les ouvrages qui ont rapport à cette loi peuvent être utiles. Les pamphlets, en Angleterre, accompagnent chaque question politique jusque dans le sein du parlement[1]. Toute la partie pensante de la nation intervient de la sorte dans la question qui

  1. Voyez à ce sujet l’excellente brochure que vient de publier un académicien, M. Suard, dont les écrits sont toujours remplis d’idées justes, et applicables, et dont la conduite, pendant sa longue et noble carrière, est un rare modèle de sagesse et d’élévation, de mesure et de dignité.