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Cette tolérance limitée renferme une singulière erreur. L’imagination seule peut satisfaire aux besoins de l’imagination. Quand, dans un empire, vous auriez toléré vingt religions, vous n’auriez rien fait encore pour les sectateurs de la vingt et unième. Les gouvernements qui s’imaginent laisser aux gouvernés une latitude convenable, en leur permettant de choisir entre un nombre fixe de croyances religieuses, ressemblent à ce Français, qui, arrivé dans une ville d’Allemagne dont les habitants voulaient apprendre l’italien, leur donnait le choix entre le basque ou le bas-breton.

Cette multitude des sectes dont on s’épouvante est ce qu’il y a pour la religion de plus salutaire ; elle fait que la religion ne cesse pas d’être un sentiment pour devenir une simple forme, une habitude presque mécanique, qui se combine avec tous les vices, et quelquefois avec tous les crimes.

Quand la religion dégénère de la sorte, elle perd toute son influence sur la morale ; elle se loge, pour ainsi dire, dans une case des têtes humaines, où elle reste isolée de tout le reste de l’existence. Nous voyons en Italie la messe précéder le meurtre, la confession le suivre, la pénitence l’absoudre, et l’homme, ainsi délivré du remords, se préparer à des meurtres nouveaux.

Rien n’est plus simple. Pour empêcher la subdivision des sectes, il faut empêcher que l’homme ne réfléchisse sur sa religion ; il faut donc empêcher qu’il ne s’en occupe ; il faut la réduire à des symboles que l’on répète, à des pratiques que l’on observe. Tout devient extérieur ; tout doit se faire sans examen ; tout se fait bientôt par là même sans intérêt et sans attention.

Je ne sais quels peuples mogols, astreints par leur culte à des prières fréquentes, se sont persuadé que ce