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sur la pensée secrète de ceux qui disposent de leur destinée. On compte trop sur la bonhomie du peuple, lorsqu’on espère qu’il croira longtemps ce que ses chefs refusent de croire. Tout le fruit de leur artifice, c’est que le peuple, qui les voit incrédules, se détache de sa religion, sans savoir pourquoi. Ce que l’on gagne en prohibant l’examen, c’est d’empêcher le peuple d’être éclairé, mais non d’être impie. Il devient impie par imitation ; il traite la religion de chose niaise et de duperie, et chacun la renvoie à ses inférieurs, qui, de leur côté, s’empressent de la repousser encore plus bas. Elle descend ainsi chaque jour plus dégradée ; elle est moins menacée lorsqu’on l’attaque de toutes parts. Elle peut alors se réfugier au fond des âmes sensibles. La vanité ne craint pas de faire preuve de sottise et de déroger en la respectant.

Qui le croirait ! l’autorité fait du mai, même lorsqu’elle, veut soumettre à sa juridiction les principes de la tolérance ; car elle impose à la tolérance des formes positives et fixes qui sont contraires à la nature. La tolérance n’est autre chose que la liberté de tous les cultes présents et futurs. L’empereur Joseph II voulut établir la tolérance, et libéral dans ses vues, il commença par faire dresser un vaste catalogue de toutes les opinions religieuses, professées par ses sujets. Je ne sais combien furent enregistrées, pour être admises au bénéfice de sa protection. Qu’arriva-t-il ? un culte qu’on avait oublié vint à se montrer tout à coup, et Joseph II, prince tolérant, lui dit qu’il était venu trop tard. Les déistes de Bohême furent persécutés, vu leur date, et le monarque philosophe se mit à la fois en hostilité contre le Brabant qui réclamait la domination exclusive du catholicisme, et contre les malheureux Bohémiens, qui demandaient la liberté de leur opinion.