Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tique, elle veut rétablir la religion. La religion doit se rétablir seule par le besoin que l’homme en a ; et quand on l’inquiète par des considérations étrangères, on l’empêche de ressentir toute la force de ce besoin. L’on dit, et je le pense, que la religion est dans la nature ; il ne faut donc pas couvrir sa voix par celle de l’autorité. L’intervention des gouvernements pour la défense de la religion, quand l’opinion lui est défavorable, a cet inconvénient particulier, que la religion est défendue par des hommes qui n’y croient pas. Les gouvernants sont soumis, comme les gouvernés, à la marche des idées humaines ; lorsque le doute a pénétré dans la partie éclairée d’une nation, il se fait jour dans le gouvernement même. Or, dans tous les temps, les opinions ou la vanité sont plus fortes que les intérêts. C’est en vain que les dépositaires de l’autorité se disent qu’il est de leur avantage de favoriser la religion ; ils peuvent déployer pour elle leur puissance, mais ils ne sauraient s’astreindre à lui témoigner des égards. Ils trouvent quelque jouissance à mettre le public dans la confidence de leur arrière-pensée ; ils craindraient de paraître convaincus, de peur d’être pris pour des dupes. Si leur première phrase est consacrée à commander la crédulité, la seconde est destinée à reconquérir pour eux les honneurs du doute, et l’on est mauvais missionnaire, quand on veut se placer au-dessus de sa propre profession de foi[1].

Alors s’établit cet axiome, qu’il faut une religion au peuple, axiome qui flatte la vanité de ceux qui le répètent, parce qu’en le répétant, ils se séparent de ce peuple auquel il faut une religion.

  1. On remarquait cette tendance bien évidemment dans les hommes en place, dans plusieurs de ceux mêmes qui étaient à la tête de l’Église, sous Louis XV et sous Louis XVI.