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sens contraire. Restreindra-t-il la liberté des écrits, des paroles, de l’éloquence, du raisonnement, de l’ironie même ou de la déclamation ? Le voilà dans une carrière nouvelle : il ne s’occupe plus à favoriser ou à convaincre, mais à étouffer ou à punir ; pense-t-il que ses lois pourront saisir toutes les nuances et se graduer en proportion ? Ses mesures répressives seront-elles douces ? on les bravera, elles ne feront qu’aigrir sans intimider. Seront-elles sévères ? le voilà persécuteur. Une fois sur cette pente glissante et rapide, il cherche en vain à s’arrêter.

Mais ses persécutions mêmes, quel succès pourrait-il en espérer ? Aucun roi, que je pense, ne fut entouré de plus de prestiges que Louis XIV. L’honneur, la vanité, la mode, la mode toute-puissante, s’étaient placés, sous son règne, dans l’obéissance. Il prêtait à la religion l’appui du trône et celui de son exemple. Il attachait le salut de son âme au maintien des pratiques les plus rigides, et il avait persuadé à ses courtisans que le salut de l’âme du roi était d’une particulière importance. Cependant, malgré sa sollicitude toujours croissante, malgré l’austérité d’une vieille cour, malgré le souvenir de cinquante années de gloire, le doute se glissa dans les esprits, même avant sa mort. Nous voyons, dans les mémoires du temps, des lettres interceptées, écrites par des flatteurs assidus de Louis XIV, et offensantes également, nous dit madame de Maintenon, à Dieu et au roi. Le roi mourut. L’impulsion philosophique renversa toutes les digues ; le raisonnement se dédommagea de la contrainte qu’il avait impatiemment supportée, et le résultat d’une longue compression fut l’incrédulité poussée à l’excès.

L’autorité ne fait pas moins de mal et n’est pas moins impuissante, lorsque, au milieu d’un siècle scep-