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lui-même eût à peine osé envoyer à l’enregistrement du parlement de Paris : loi d’amour, loi sur le droit d’aînesse, loi sur le sacrilège.

Fatal exemple de l’aveuglement des partis et des gouvernements ! Charles X était un prince débonnaire, très-disposé à faire le bonheur de son peuple. Les finances du royaume avaient atteint sous son règne un degré de prospérité inconnu depuis Colbert ; l’administration était habile, instruite, d’une irréprochable probité ; mais il était enchaîné par sa naissance, les souvenirs de sa jeunesse et son entourage aux traditions de la vieille monarchie. Tout en acceptant le rôle de roi constitutionnel, il voulait rester le roi du catholicisme et de la noblesse ; il voulait renouer l’alliance de l’autel et du trône, sans soupçonner que pour refaire l’ancien régime, il fallait effacer la révolution de l’histoire et ressusciter les morts. Enfermé, entre le présent et le passé, dans une contradiction sans issue, il voulut en sortir par un coup d’État ; « la lutte, a dit Amand Marrast, était devenue formidable : quelques mois d’un ministère semi-libéral avaient ajouté à la puissance de l’opposition ; elle était en mesure de combattre la tête haute, lorsque Charles X défia la France en donnant la présidence du conseil à M. de Polignac, le ministère de la guerre à Bourmont. C’était le dernier triomphe de la contre-révolution, le dernier coup de la partie. Les ordonnances de Juillet rengagèrent et le peuple la gagna. »

Benjamin Constant était à la campagne lorsque les ordonnances furent promulguées. Il reçut de Lafayette un billet ainsi conçu : « Il se joue ici un jeu terrible ; nos têtes servent d’enjeu, apportez la vôtre. » Sans différer d’un moment, il partit pour Paris. Les souvenirs de la Terreur l’avaient rendu défiant envers la République ; il sentait la nécessité de constituer sans retard un gouvernement définitif, non pour y prendre place, comme tant d’autres l’ont fait après lui, mais pour assurer le repos du pays, et il fut au nombre des députés qui décernèrent la couronne à Louis-Philippe. Ce prince se montra reconnaissait : il l’appela à la présidence du conseil d’État et lui offrit, peu de temps après, un don de 300 000 francs. — « Vous avez fait pour la liberté, lui dit le roi, des efforts au-dessus de vos forces ; cette cause nous est commune,