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lérance, l’on a fréquemment cité Rousseau, qui chérissait toutes les théories de la liberté, et qui a fourni des prétextes à toutes les prétentions de la tyrannie.

« Il y a, dit-il, une profession de foi purement civile, dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentiments de sociabilité. Sans pouvoir obliger personne à croire à ces dogmes, il peut bannir de l’État quiconque ne les croit pas. Il peut le bannir, non comme impie, mais comme insociable[1]. » Qu’est-ce que l’État, décidant des sentiments qu’il faut adopter ? Que m’importe que le souverain ne m’oblige pas à croire, s’il me punit de ce que je ne crois pas ? Que m’importe qu’il ne me frappe pas comme impie, s’il me frappe comme insociable ? Que m’importe que l’autorité s’abstienne des subtilités de la théologie, si elle se perd dans une morale hypothétique, non moins subtile, non moins étrangère à sa juridiction naturelle ?

Je ne connais aucun système de servitude, qui ait consacré des erreurs plus funestes que l’éternelle métaphysique du Contrat social.

L’intolérance civile est aussi dangereuse, plus absurde, et surtout plus injuste que l’intolérance religieuse. Elle est aussi dangereuse, puisqu’elle a les

  1. Rousseau, Contrat social, liv. iv, chap. viii. Il ajoute : que si quelqu’un, après avoir reconnu publiquement ces mêmes dogmes, se conduit comme ne les croyant pas, qu’il soit puni de mort ; il a commis le plus grand des crimes, il a menti devant les lois. Mais celui qui a le malheur de ne pas croire ces dogmes ne peut avouer ses doutes sans s’exposer au bannissement ; et si ses affections le retiennent, s’il a une famille, une femme, des enfants qu’il hésite à quitter pour se précipiter dans l’exil, n’est-ce pas vous, vous seul qui le forcez à ce que vous appelez le plus grand des crimes, au mensonge devant les lois ? Je dirai, du reste, que, dans cette circonstance, ce mensonge me paraît loin d’être un crime. Quand de prétendues lois n’exigent de nous la vérité que pour nous proscrire, nous ne leur devons pas la vérité.