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délaissé s’efforçant en vain de retenir, au fond de son âme solitaire, quelque imparfait vestige de sa vie passée.

Le gouvernement actuel est le premier de tous les gouvernements de France qui ait renoncé formellement à cette prérogative terrible, dans la constitution qu’il a proposée[1].

L’absence du sentiment religieux favorise toutes les prétentions de la tyrannie. Si les destinées de l’espèce humaine sont livrées aux chances d’une fatalité matérielle et aveugle, est-il étonnant que souvent elles dépendent des plus ineptes, des plus féroces ou des plus vifs des humains ? Si les récompenses de la vertu, les châtiments du crime ne sont que les illusions vaines d’imaginations faibles et timides, pourquoi nous plaindre lorsque le crime est récompensé, la vertu proscrite ? Si la vie n’est au fond qu’une apparition bizarre, sans avenir comme sans passé, et tellement courte qu’on la croirait à peine réelle, à quoi bon s’immoler à des principes dont l’application est au moins éloignée ? Mieux vaut profiter de chaque heure, incertain qu’on est de l’heure qui suit, s’enivrer de chaque plaisir, tandis que le plaisir est possible, et, fermant les yeux sur l’abîme inévitable, ramper et servir au lieu de combattre, se faire maître, si l’on peut, ou, la place étant prise, esclave ; délateur pour n’être pas dénoncé, bourreau pour n’être pas victime. L’époque où le sentiment religieux disparaît de l’âme des hommes est toujours voisine de celle de leur asser-

  1. Art. 61. Nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ni exilé, que dans les cas prévus par la loi.