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heurs, si nous nous livrions pieds et poings liés, je les appelais des Jacobins. Je regardais, au contraire, comme des esprits sages ceux qui criaient : Laissez faire, n’entravez pas, laissez la chose se consolider ; vous aurez la paix et la tranquillité intérieure. La chose s’est consolidée, et nous avons eu le système continental, et la guerre d’Autriche, et celle de Prusse, et celle d’Espagne, et celle de Russie, où j’ai perdu mon fils, et des insurrections, et des conspirations, et des châteaux forts. J’en conclus que ceux que j’ai crus m’ont attrapé. Je ne crois point qu’on veuille m’attraper, cependant je ne nommerai pas ceux qui me tiendront de beaux discours pour me persuader qu’il faut violer la Charte.

Je suis bon catholique. Je crois la religion nécessaire à la morale. J’aime que ma femme, mes enfants, ma servante, m’accompagnent à l’église. Mais j’ai à traiter, à cause de mon commerce, avec des gens de religion différente. Il m’importe que ces gens soient tranquilles et en sûreté : car ce n’est qu’alors qu’ils remplissent leurs engagements, qu’ils payent avec exactitude, et que les affaires qu’on fait avec eux sont actives et sans danger. Mon bisaïeul a été ruiné, parce que des huguenots qui étaient ses débiteurs se sont enfuis nuitamment de France, à cause des dragonnades : et il n’y a pas extrêmement longtemps qu’une lettre de change que j’avais tirée sur un négociant de Nîmes, l’ayant trouvé mort, m’a mis dans le plus grand embarras, en me revenant protestée. J’applaudis donc de tout mon cœur à l’article de la Charte qui a proclamé la liberté des cultes et garanti la sûreté de ceux qui les professent. Je tiens fort à ce que rien ne remette en doute cette liberté ; car si, par des vexations directes ou indirectes, on jetait le désordre dans les affaires des protestants qui me doivent, ce ne serait pas eux, mais moi, qu’on