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Dans une constitution où les non-propriétaires ne posséderaient pas les droits politiques, l’absence de tout salaire pour les représentants de la nation me semble naturelle. N’est-ce pas une contradiction outrageante et ridicule, que de repousser le pauvre de la représentation nationale, comme si le riche seul devait le représenter, et de lui faire payer ses représentants comme si ces représentants étaient pauvres ?

Enfin l’Angleterre a adopté ce système. Je sais qu’on a beaucoup déclamé contre la corruption de la chambre des communes. Comparez les effets de cette corruption prétendue avec la conduite de nos assemblées ; le parlement anglais a bien plus souvent résisté à la couronne que nos assemblées à leurs tyrans.

La corruption qui naît de vues ambitieuses est bien moins funeste que celle qui résulte de calculs ignobles. L’ambition est compatible avec mille qualités généreuses : la probité, le courage, le désintéressement, l’indépendance ; l’avarice ne saurait exister avec aucune de ces qualités. L’on ne peut écarter des emplois les hommes ambitieux ; écartons-en du moins les hommes avides : par là nous diminuerons considérablement le nombre des concurrents, et ceux que nous éloignerons seront précisément les moins estimables.

Mais une condition est nécessaire pour que les fonctions représentatives puissent être gratuites ; c’est qu’elles soient importantes. Personne ne voudrait exercer gratuitement des fonctions puériles par leur insignifiance, ou qui seraient honteuses, si elles cessaient d’être puériles ; mais aussi, dans une pareille constitution, mieux vaudrait qu’il n’y eût point de fonctions représentatives.