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Je n’aime pas les fortes conditions de propriété pour l’exercice des fonctions politiques. L’indépendance est toute relative : aussitôt qu’un homme a le nécessaire, il ne lui faut que de l’élévation dans l’âme pour se passer du superflu. Cependant il est désirable que les fonctions représentatives soient occupées, en général, par des hommes, sinon de la classe opulente, du moins dans l’aisance. Leur point de départ est plus avantageux, leur esprit plus libre, leur intelligence mieux préparée aux lumières. La pauvreté a ses préjugés comme l’ignorance. Or, si vos représentants ne reçoivent aucun salaire, vous placez la puissance dans la propriété, et vous laissez une chance équitable aux exceptions légitimes.

Combinez tellement vos institutions et vos lois, dit Aristote, que les emplois ne puissent être l’objet d’un calcul intéressé ; sans cela, la multitude, qui d’ailleurs est peu affectée de l’exclusion des places éminentes, parce qu’elle aime à vaquer à ses affaires, enviera les honneurs et le profit. Toutes les précautions sont d’accord, si les magistratures ne tentent pas l’avidité. Les pauvres préféreront des occupations lucratives à des fonctions difficiles et gratuites. Les riches occuperont les magistratures, parce qu’ils n’auront pas besoin d’indemnités[1].

Ces principes ne sont pas applicables à tous les emplois dans les États modernes ; il en est qui exigent une fortune au-dessus de toute fortune particulière : mais rien n’empêche qu’on ne les applique aux fonctions représentatives[2].

  1. Aristote, Politique, liv. V, chap. vii.
  2. Les Carthaginois avaient déjà fait cette distinction. Toutes les magistratures nommées par le peuple étaient exercées sans indemnité ; les autres étaient salariées.