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ce sont des époques d’affaiblissement moral. Que les talents occultes se fassent connaître ; que les qualités privées trouvent leur récompense dans le bonheur domestique ; que la souplesse et la douceur obtiennent les faveurs des grands : aux hommes qui commandent l’attention, qui attirent le respect, qui ont acquis des droits à l’estime, à la confiance, à la reconnaissance du peuple, appartiennent les choix de ce peuple ; et ces hommes plus énergiques seront aussi plus modérés.

On se figure toujours la médiocrité comme paisible ; elle n’est paisible que lorsqu’elle est impuissante. Quand le hasard réunit beaucoup d’hommes médiocres et les investit de quelque force, leur médiocrité est plus agitée, plus envieuse, plus convulsive dans sa marche que le talent, même lorsque les passions l’égarent. Les lumières calment les passions, elles adoucissent l’égoïsme en rassurant la vanité.

Revenons-en donc à l’élection directe.

Témoin des désordres apparents qui agitent en Angleterre les élections contestées, j’ai vu combien le tableau de ces désordres est exagéré. J’ai vu sans doute des élections accompagnées de rixes, de clameurs, de disputes violentes ; mais le choix n’en portait pas moins sur des hommes distingués ou par leurs talents, ou par leur fortune : et, l’élection finie, tout rentrait dans la règle accoutumée. Les électeurs de la classe inférieure, naguère obstinés et turbulents, redevenaient laborieux, dociles, respectueux même. Satisfaits d’avoir exercé leurs droits, ils se pliaient d’autant plus facilement aux supériorités et aux conventions sociales, qu’ils avaient, en agissant de la sorte, la conscience de n’obéir qu’au calcul raisonnable de leur intérêt éclairé. Le lendemain d’une élection, il ne restait plus la moindre trace de l’agitation de la veille. Le peuple avait repris ses travaux, mais l’esprit