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ture et le travail. L’on essaye des primes que distribue le caprice, des décorations que l’opinion conteste. Il serait plus simple de donner de l’importance aux classes agricoles ; mais cette importance ne se crée point par des décrets. La base en doit être placée dans l’intérêt de toutes les espérances à la reconnaître, de toutes les ambitions à la ménager.

En second lieu, la nomination par le sénat aux fonctions représentatives tend à corrompre ou du moins à affaiblir le caractère des aspirants à ces fonctions éminentes.

Quelque défaveur que l’on jette sur la brigue, sur les efforts dont on a besoin pour captiver une multitude, ces choses ont des effets moins fâcheux que les tentatives détournées qui sont nécessaires pour se concilier un petit nombre d’hommes en pouvoir.

« La brigue, dit Montesquieu, est dangereuse dans un sénat, elle est dangereuse dans un corps de nobles ; elle ne l’est pas dans le peuple, dont la nature est d’agir par passion[1]. »

Ce que l’on fait pour entraîner une réunion nombreuse doit paraître au grand jour, et la pudeur modère les actions publiques ; mais, lorsqu’on s’incline devant quelques hommes que l’on implore isolément, on se prosterne à l’ombre, et les individus puissants ne sont que trop portés à jouir de l’humilité des prières et supplications obséquieuses.

Il y a des époques où l’on redoute tout ce qui ressemble à de l’énergie : c’est quand, les constitutions étant mal assises, la tyrannie veut s’établir, et que la servitude croit encore en profiter. Alors on vante la douceur, la souplesse, les talents occultes, les qualités privées ; mais

  1. Esprit des Lois, II, 2, 3.