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sa confiance : il lui fallait Lafayette, madame de Staël, et surtout l’homme, qui, depuis un an, avait défendu la liberté avec le plus de talent et de succès. Ce qu’il voulait de Benjamin Constant, c’était un projet de constitution qui ne laissât pas de doute sur ses intentions ; il avait besoin d’une Charte impériale pour entraîner la France après lui, et l’opposer à l’ennemi. Ne pouvant pas donner la paix, il lui fallait donner la liberté à pleines mains. Du reste, Napoléon parla franchement. Quoiqu’il eût beaucoup appris à l’île d’Elbe, dans cette espèce de tombeau où, descendu de son vivant, il avait entendu la vérité sous sa forme la plus rude, il ne se donna pas pour un homme que l’exil a converti et qui revient à la liberté par repentir du despotisme ; non, il était toujours le même : en toutes choses, il ne voyait que lui. La question n’était pas de savoir si, en principe, la liberté vaut mieux qu’un régime absolu, c’était de l’idéologie ; mais simplement de savoir si, dans la circonstance, la liberté était plus utile à l’empereur que le despotisme, et si, d’ailleurs, il était possible de l’écarter. »

Peu de jours après l’entrevue des Tuileries, Benjamin Constant reçut le titre de conseiller d’État, et ce fut lui qui rédigea en grande partie l’Acte additionnel, que M. Thiers regarde comme la plus sage et la plus libérale de toutes les constitutions qui, depuis quatre-vingts ans, aient été données à la France. Napoléon aurait-il permis à cette constitution de fonctionner ? On ne le saurait dire, car les événements se précipitèrent avec une telle rapidité que la France n’eut point le temps d’expérimenter le nouveau régime.

Lorsque Waterloo eut ramené les Bourbons, l’assassinat politique fut organisé dans les cours prévôtales, et l’on vit reparaître ces juges de tyrannie, ces commissions extraordinaires, contre lesquelles les États-Généraux de l’ancienne monarchie avaient tant de fois protesté au nom de la conscience publique. Le Comité de salut public était reconstitué sous une autre forme, et le jacobinisme monarchique ne différait du jacobinisme révolutionnaire que par l’hypocrisie[1].

  1. Cette opinion ne peut manquer de paraître trop sévère à quelques lecteurs, mais nous croyons qu’elle est suffisamment justifiée par les faits. Les