Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ces raisonnements reposent sur une idée très-exagérée de l’intérêt général, du but général, de la législation générale, de toutes les choses auxquelles cette épithète s’applique. Qu’est-ce que l’intérêt général, sinon la transaction qui s’opère entre les intérêts particuliers ? Qu’est-ce que la représentation générale, sinon la représentation de tous les intérêts partiels qui doivent transiger sur les objets qui leur sont communs ? L’intérêt général est distinct sans doute des intérêts particuliers, mais il ne leur est point contraire. On parle toujours comme si l’un gagnait à ce que les autres perdent ; il n’est que le résultat de ces intérêts combinés ; il ne diffère d’eux que comme un corps diffère de ses parties. Les intérêts individuels sont ce qui intéresse le plus les individus ; les intérêts sectionnaires ce qui intéresse le plus les sections : or, ce sont les individus, ce sont les sections qui composent le corps politique ; ce sont par conséquent les intérêts de ces individus et de ces sections qui doivent être protégés : si on les protège tous, l’on retranchera, par cela même, de chacun ce qu’il contiendra de nuisible aux autres ; et de là seulement peut résulter le véritable intérêt public. Cet intérêt public n’est autre chose que les intérêts individuels, mis réciproquement hors d’état de se nuire[1]. Cent députés, nommés par cent sections d’un État, apportent dans le sein de l’assemblée les intérêts particuliers, les préventions locales de leurs commettants ; cette base leur est utile : forcés de délibérer ensemble, ils s’aperçoivent bientôt des sacrifices respectifs qui sont indispensables ; ils s’efforcent de diminuer

  1. Cette idée si juste est une de celles que l’on comprend le moins en France. On fait un intérêt général qui n’est que la mutilation ou la destruction de tous les intérêts particuliers, et c’est à cette abstraction qu’on sacrifie toutes les forces vives du pays.
    (Note de M. Laboulaye.)