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changements politiques chez les peuples avancés dans la civilisation, mais ne tiennent en rien aux principes ou à la nature de ce qu’on veut établir.

La seconde cause de nos défiances actuelles contre l’élection directe, c’est qu’aucune de nos constitutions n’avait assigné de bornes au pouvoir législatif. La souveraineté du peuple, absolue, illimitée, avait été transmise par la nation, ou du moins en son nom, comme c’est l’ordinaire, par ceux qui la dominaient, à des assemblées représentatives ; il dut en résulter l’arbitraire le plus inouï. La constitution[1], qui, la première, mit un terme à ce despotisme, ne restreignait pas encore suffisamment le pouvoir législatif. Elle ne consacrait ni l’indispensable veto du pouvoir royal, ni la possibilité non moins indispensable de la dissolution des assemblées représentatives ; elle ne garantissait pas même, comme certaines constitutions américaines[2], les droits les plus sacrés des individus, contre les empiétements des législateurs. Doit-on s’étonner que le pouvoir législatif ait continué de faire du mal ? L’on s’en est pris à l’élection directe ; c’était une méprise profonde. Il n’en fallait point accuser le mode de nomination des législateurs, mais la nature de leur autorité. La faute n’en était pas aux choix faits par les représentés, mais aux pouvoirs sans frein des représentants. Le mal n’aurait pas été moins grand, quand les mandataires de la nation se seraient nommés eux-mêmes, ou quand ils auraient été nommés par une corporation constituée quelconque. Ce mal tenait à ce que leur volonté, décorée du nom de loi, n’était contrebalancée, réprimée, arrêtée par rien. Quand

  1. La constitution dite de l’an III.
  2. Les membres de la législature de New-Jersey font serment de ne pas voter contre les élections périodiques, le jugement par jurés, la liberté de conscience, et celle de la presse.