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élections menacées du même sort[1] ? Qui ne sent que les premiers essais d’une institution peuvent être accompagnés de troubles étrangers à l’institution même ? Le renversement de ce qui a existé, l’incertitude sur ce qui existe, les passions qui s’agitent en sens opposés, toutes ces choses sont d’ordinaire contemporaines des grands

  1. On peut se demander aussi à quel moment, depuis l’an VII, les élections ont été libres ? à quel moment on est resté dans la vérité du gouvernement représentant ? On ne connaît que trop à quels abus a donné lieu, sous la restauration et le gouvernement de juillet, le régime censitaire ; ces abus disparaissent-ils avec le suffrage universel ? L’expérience que nous avons faite depuis vingt ans de ce système nous permet à peine de l’espérer. Le gouvernement issu du peuple a eu ses candidats comme le gouvernement monarchique ; l’opposition a eu les siens, et des deux côtés, il faut bien en convenir, au lieu d’éclairer le peuple, de lui rappeler ses devoirs tout en lui parlant de ses droits, de le ramener au sentiment de sa dignité et de son indépendance, on s’est attaché à faire triompher, par des moyens plus ou moins réguliers, des hommes de parti, des ambitions personnelles, des dévouements serviles, et ce n’est pas sans raison qu’on a pu écrire à propos des candidatures officielles :

    « L’Empereur dit : Je n’ai à vous dire que ce que vous dit la nation.

    « Le ministre de l’intérieur dit : Je n’ai à vous dire que ce que dit l’Empereur.

    « Le préfet dit : Je n’ai à vous dire que ce que dit le ministre.

    « Le candidat dit : Je n’ai à vous dire que ce que dit le préfet. »

    Et ce n’est pas non plus sans raison qu’on a pu écrire à propos des candidats qui n’étaient point ceux du gouvernement :

    « L’opposition avait la main belle dans les grandes villes ; elle exploitait l’ignorance et les passions tumultueuses de la multitude ouvrière, bien entendu au profit seul des meneurs bourgeois, lettrés et bacheliers, et, si adroitement fit-elle que depuis que la souveraineté du peuple est l’objet de tant et de si profonds hommages, pas un membre de cette souveraineté, pas un homme du peuple n’a pu venir se clouer et s’adapter sur le siége le plus modeste du parlement où se débattent et se règlent ses droits politiques et ses plus chers intérêts. » Nul ne peut prévoir ce que le suffrage universel produira dans l’avenir, mais quand on voit combien il est facile aux gouvernements comme aux gouvernés, à l’administration comme à l’opposition la plus radicale, de s’emparer de l’esprit des masses et de les faire tourner à leur gré, on peut s’attendre à toutes les surprises.

    (Note de l’éditeur.)