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national, et y suppléer par du mécanisme, ils apprennent à leurs dépens qu’il y a d’autres dangers contre lesquels l’esprit national est seul une défense, et que le mécanisme le mieux combiné ne peut conjurer.

Il faut donc que les assemblées représentatives subsistent libres, imposantes, animées ; mais il faut que leurs écarts puissent être réprimés. Or, la force répressive doit être placée au dehors. Les règles qu’une assemblée s’impose par sa volonté propre sont illusoires et impuissantes. La même majorité, qui consent à s’enchaîner par des formes, brise à son gré ces formes et reprend le pouvoir après l’avoir abdiqué.

Le veto royal, nécessaire pour les lois de détail, est insuffisant contre la tendance générale. Il irrite l’assemblée hostile sans la désarmer. La dissolution de cette assemblée est le remède unique[1].

  1. « On peut affirmer à coup sûr que toute assemblée unique, qu’elle soit constituante ou législative, mènera le pays à l’anarchie et à la révolution. Inutile de citer des exemples de cette vérité ; il serait, je crois, impossible de citer l’exemple du contraire. Une Chambre unique, ce fut, selon moi, la grosse erreur de la révolution, la source de nos désordres et de nos misères. Ce qui a manqué à nos pères pour fonder la liberté, c’est une seconde Chambre qui maintînt la première, et qui fût maintenue par elle dans le respect de la Constitution et de la volonté nationale. Le pouvoir absolu a enivré et perdu nos législateurs. » M. Laboulaye, Le Parti libéral, p. 162.

    L’éminent publiciste que nous venons de citer dit encore ailleurs :

    « Qu’on le remette à un homme ou à une Assemblée, un pouvoir sans limites et sans responsabilité ne peut être qu’une forme de despotisme. Mais de tous ces régimes, le plus insupportable sera toujours le despotisme bâtard d’une Chambre unique, car du même coup il paralyse le gouvernement et asservit le peuple ; il favorise en même temps l’anarchie et la tyrannie. Si les constituants avaient eu la modestie de consulter l’histoire, ils y auraient trouvé l’exemple du Long-Parlement d’Angleterre et du Congrès de la Confédération américaine, deux assemblées périssant chacune par l’anarchie ; mais l’expérience ne disait rien aux disciples de Rousseau. Ils savaient tout sans avoir rien appris. »