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hommes, parce qu’elle les aveugle sur tout ce qui n’est pas leur but général. La modération les divise, parce qu’elle laisse leur esprit ouvert à toutes les considérations partielles.

L’assemblée constituante était composée des hommes les plus estimés, les plus éclairés de la France. Que de fois elle décréta des lois que sa propre raison réprouvait ! Il n’existait pas dans l’assemblée législative cent hommes qui voulussent renverser le trône. Elle fut néanmoins, d’un bout à l’autre de sa triste et courte carrière, entraînée dans une direction inverse de ses volontés ou de ses désirs. Les trois quarts de la convention avaient en horreur les crimes qui avaient souillé les premiers jours de la république ; et les auteurs de ces crimes, bien qu’en petit nombre dans son sein, ne tardèrent pas à la subjuguer.

Quiconque a parcouru les actes authentiques du parlement d’Angleterre, depuis 1640 jusqu’à sa dispersion par le colonel Pride, avant la mort de Charles Ier, doit être convaincu que les deux tiers de ses membres désiraient ardemment la paix que leurs votes repoussaient sans cesse, et regardaient comme funeste une guerre dont ils proclamaient chaque jour unanimement la nécessité.

Conclura-t-on de ces exemples qu’il ne faut pas d’assemblées représentatives ? Mais alors le peuple n’aura plus d’organes, le gouvernement plus d’appui, le crédit public plus de garantie. La nation s’isolera de son chef ; les individus s’isoleront de la nation, dont rien ne constatera l’existence. Ce sont les assemblées représentatives qui seules introduisent la vie dans le corps politique. Cette vie a sans doute ses dangers, et nous n’en avons pas affaibli l’image. Mais lorsque, pour s’en affranchir, les gouvernements veulent étouffer l’esprit