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terreur ; l’absence de toute responsabilité morale, la certitude d’échapper par le nombre à la honte de la lâcheté ou au péril de l’audace : tels sont les vices des assemblées, lorsqu’elles ne sont pas renfermées dans des limites qu’elles ne puissent franchir.

Une assemblée dont la puissance est illimitée est plus dangereuse que le peuple. Les hommes réunis en grand nombre ont des mouvements généreux. Ils sont presque toujours vaincus par la pitié ou ramenés par la justice ; mais c’est qu’ils stipulent en leur propre nom. La foule peut sacrifier ses intérêts à ses émotions ; mais les représentants d’un peuple ne sont pas autorisés à lui imposer un tel sacrifice. La nature de leur mission les arrête. La violence d’un rassemblement populaire se combine en eux avec l’impassibilité d’un tribunal, et cette combinaison ne permet d’excès que celui de la rigueur. Ceux qu’on appelle traîtres dans une assemblée sont d’ordinaire ceux qui réclament en faveur des mesures indulgentes. Les hommes implacables, si quelquefois ils sont blâmés, ne sont jamais suspects.

Aristide disait aux Athéniens, rassemblés sur la place publique, que leur salut même serait trop chèrement acheté par une résolution injuste ou perfide. En professant cette doctrine, une assemblée craindrait que ses commettants, qui n’auraient reçu ni du raisonnement l’explication nécessaire, ni de l’éloquence l’impulsion généreuse, ne l’accusassent d’immoler l’intérêt public à l’intérêt privé.

Vainement compterait-on sur la force d’une majorité raisonnable, si cette majorité n’avait pas de garantie dans un pouvoir constitutionnel hors de l’assemblée. Une minorité bien unie, qui a l’avantage de l’attaque, qui effraye ou séduit, argumente ou menace tour à tour, domine tôt ou tard la majorité. La violence réunit les