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pour les membres mêmes qui la composent. Elle se précipite dans des excès qui, au premier coup d’œil, sembleraient s’exclure. Une activité indiscrète sur tous les objets, une multiplicité de lois sans mesure[1], le désir de

  1. Benjamin Constant revient à diverses reprises sur l’inconvénient de la multiplicité des lois. Voici ce qu’il dit à ce sujet dans un autre de ses ouvrages :

    « La multiplicité des lois flatte dans les législateurs deux penchants naturels, le besoin d’agir et le plaisir de se croire nécessaire. Toutes les lois que vous donnez à un homme une vocation spéciale, il aime mieux faire plus que moins. Ceux qui sont chargés d’arrêter les vagabonds sur les grandes routes sont tentés de chercher querelle à tous les voyageurs. Quand les espions n’ont rien découvert, ils inventent. Il suffit de créer dans un pays un ministère qui surveille les conspirateurs, pour qu’on entende parler sans cesse de conspirations. Les législateurs se partagent l’existence humaine, par droit de conquête, comme les généraux d’Alexandre se partageaient le monde. On peut dire que la multiplicité des lois est la maladie des États représentatifs, parce que dans ces États tout se fait par les lois, tandis que l’absence des lois est la maladie des monarchies sans limites, parce que dans ces monarchies tout se fait par les hommes.

    « C’est l’imprudente multiplicité des lois qui, à de certaines époques, a jeté de la défaveur sur ce qu’il y a de plus noble, sur la liberté, et fait chercher un asile dans ce qu’il y a de plus misérable et de plus bas, dans la servitude. »

    Un jurisconsulte éminent, l’auteur du Droit administratif, a également protesté dans un pamphlet qui a fait grand bruit sous le règne de Louis-Philippe, et qui a pour titre la Légomanie :

    « Il faut, est-il dit dans ce pamphlet, que la nation française ait naturellement l’esprit bien juste, car on fait tout ce qu’on peut pour le lui fausser. En théorie, rien n’est plus net que la séparation du législatif et de l’exécutif. Presque toujours, chez nous, le règlement fait invasion dans la loi. Nos assemblées révolutionnaires ont, les premières, donné ce mauvais exemple. Encore peut-on les excuser, parce qu’elles cumulaient le gouvernement avec la législature. Aujourd’hui, les Chambres, par méfiance du pouvoir, empiètent sur lui tant de terrain qu’il y a. C’est comme si c’était autant de pris sur l’ennemi ! Elles rongent, elles émiettent sa prérogative ; elles la dévoreraient tout entière, si on les laissait faire ; elles ouvrent du moins la bouche assez grande pour cela. Le ministère plie et cède, sauf à se rabattre d’un autre côté. Quelquefois, il se noie exprès dans les détails, pour qu’on perde de vue le principe. Quelquefois, une foule d’amendements, éclos à l’instant même dans la tête du premier