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« Tribuns, ouvrez cette grande charte, que, dans l’an 1215, les barons anglais firent signer à Jean Sans Terre ; vous y lirez, art. 29, ces paroles mémorables : Nul ne sera arrêté, emprisonné, enlevé à son héritage, à ses facultés, à ses enfants, à sa famille. Nous déclarons que nous n’attenterons ni à sa personne ni à sa liberté, qu’il n’ait été légalement jugé par ses pairs ; et cette disposition tutélaire, que le sentiment de l’éternelle et imprescriptible justice arrachait à un peuple barbare, sous le régime de la féodalité, au commencement du treizième siècle, serait abjurée par les représentants du peuple français, au commencement du dix-neuvième, douze ans après la révolution, et dans la neuvième année de la république[1] ! »

  1. Discours sur les tribunaux spéciaux, prononcé au tribunal le 5 pluviôse, an IX.
    (Benjamin Constant.)
    Les tribunaux spéciaux ont été très-nombreux sous l’ancienne monarchie. Après avoir institué les juges royaux et les parlements pour rendre à tous exacte et bonne justice, les rois ne se font point scrupule de procéder par voie de justice sommaire, ou, pour parler plus justement, par voie d’extermination. Conformément à la théorie monarchique qui faisait résider en eux tous les attributs de la justice, ils se regardaient comme étant toujours libres de remplacer les juges ordinaires par des personnages de leur choix : au moyen âge par le prévôt de l’hôtel ; dans les derniers siècles par des assemblées administratives, par le grand prévôt de France, le conseil, les chambres ardentes, les grands jours. Jacques Cœur est jugé par le grand conseil ; François Ier livre Chabot, Ponchet, le chancelier Poyet à des commissions dont il choisit lui-même les membres. Richelieu érige à l’arsenal une chambre extraordinaire pour condamner d’office les individus contre lesquels le parlement ne voulait pas prononcer sans les entendre, et c’est une commission composée de ses créatures et convoquée chez lui, dans sa maison de campagne de Rueil, qui condamna à mort le maréchal de Marillac. Voir, sur les tribunaux spéciaux : Beccaria, des délits et des peines, supplément du chap. VII, par Voltaire ; des commissions ; — de la procédure criminelle et de quelques autres formes. — Béranger, de la justice criminelle en France, tit. Ier, chap. II.
    (Note de l’éditeur.)