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être blâmée d’avoir voulu que les faits fussent vérifiés. Mais les détentions arbitraires ont cet inconvénient, pour l’autorité, que leur réparation même ressemble à un tort, parce que le public conclut de leur cessation à leur inutilité.

Pourquoi donc blesser l’opinion par des mesures inconstitutionnelles quand les lois suffisent ! Bien que la suspension de la liberté individuelle confère aux ministres le droit d’arrestation sans causes connues, elle ne leur donne pas celui d’arrestation sans causes réelles. Or, ces causes réelles doivent être des commencements de preuves. Pourquoi ne pas soumettre aux tribunaux ces commencements de preuves ? Est-ce pour ne pas avertir les complices ? Mais ils sont avertis par l’arrestation, sans motifs exprimés, comme ils le seraient par l’arrestation motivée. Est-ce pour ne pas laisser aux suspects le moyen d’achever le crime ? Mais l’autorité qui les surveille peut les saisir, avant qu’ils n’aient fait un pas pour l’exécution. Est-ce pour se dispenser de la surveillance ? Sans doute, on n’a plus besoin d’observer ceux qu’on enferme. Mais il est beau dans les ministres de sacrifier leur repos au nôtre, et sûrement ils ne voudraient pas nous enlever notre liberté pour se relâcher de leur vigilance.

N’est-ce pas, de plus, donner aux gouvernés une dangereuse idée de la faiblesse d’un gouvernement, que de le leur peindre comme en péril par la liberté précaire d’un individu déjà suspect, suivi dans ses démarches, entouré de témoins invisibles, et contre lequel toute la force sociale est en armes ? Croit-on que cet aveu de faiblesse encourage la fidélité ? Il invite au contraire, il sollicite la défection.

« Je ne connais pas les faits particuliers, dira-t-on ; je ne puis juger du mal que cette loi d’exception a em-