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l’individu, qui ne remplit aucune mission, ces devoirs nécessaires, mais pénibles. Il doit respecter dans les citoyens cette générosité qui les porte à plaindre et à secourir, sans examen, le faible frappé par le fort.

C’est pour rendre la pitié individuelle inviolable, que nous avons rendu l’autorité publique imposante. Nous avons voulu conserver en nous les sentiments de la sympathie, en chargeant le pouvoir des fonctions sévères qui auraient pu blesser ou flétrir ces sentiments.

Toute loi qui divise les citoyens en classes, qui les punit de ce qui n’a pas dépendu d’eux, qui les rend responsables d’autres actions que les leurs ; toute loi pareille n’est pas une loi. Les lois contre les nobles, contre les prêtres, contre les pères des déserteurs, contre les parents des émigrés, n’étaient pas des lois.

Voilà le principe : mais qu’on n’anticipe pas sur les conséquences que j’en tire. Je ne prétends nullement recommander la désobéissance. Qu’elle soit interdite, non par déférence pour l’autorité qui usurpe, mais par ménagement pour les citoyens que des luttes inconsidérées priveraient des avantages de l’état social. Aussi longtemps qu’une loi, bien que mauvaise, ne tend pas à nous dépraver ; aussi longtemps que l’autorité n’exige de nous que des sacrifices qui ne nous rendent ni vils ni féroces, nous y pouvons souscrire. Nous ne transigeons que pour nous. Mais si la loi nous prescrivait, comme elle l’a fait souvent durant des années de troubles, si elle nous prescrivait, dis-je, de fouler aux pieds et nos affections et nos devoirs ; si, sous le prétexte absurde d’un dévouement gigantesque et factice à ce qu’elle appelle tour à tour république ou monarchie,