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La doctrine d’obéissance illimitée à la loi a fait sous la tyrannie, et dans les orages des révolutions, plus de maux, peut-être, que toutes les autres erreurs qui ont égaré les hommes. Les passions les plus exécrables se sont retranchées derrière cette forme, en apparence impassible et impartiale, pour se livrer à tous les excès. Voulez-vous rassembler, sous un seul point de vue, les conséquences de cette doctrine ? Rappelez-vous que les empereurs romains ont fait des lois, que Louis XI a fait des lois, que Richard III a fait des lois, que le Comité de salut public a fait des lois.

Il est donc nécessaire de bien déterminer quels droits le nom de loi, attaché à certains actes, leur donne sur notre obéissance, et, ce qui est encore différent, quels droits il leur donne à notre concours. Il est nécessaire d’indiquer les caractères qui font qu’une loi n’est pas une loi.

La rétroactivité est le premier de ces caractères. Les hommes n’ont consenti aux entraves des lois que pour attacher à leurs actions des conséquences certaines, d’après lesquelles ils pussent se diriger, et choisir la ligne de conduite qu’ils voulaient suivre. La rétroactivité leur ôte cet avantage. Elle rompt la condition du traité social. Elle dérobe le prix du sacrifice qu’elle a imposé.

Un second caractère d’illégalité dans les lois, c’est de prescrire des actions contraires à la morale. Toute loi qui ordonne la délation, la dénonciation, n’est pas une loi ; toute loi portant atteinte à ce penchant qui commande à l’homme de donner un refuge à quiconque lui demande asile n’est pas une loi. Le gouvernement est institué pour surveiller ; il a ses instruments pour accuser, pour poursuivre, pour découvrir, pour livrer, pour punir ; il n’a point le droit de faire retomber sur