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leur compétence. Elles cesseraient néanmoins de l’être, si elles s’arrogeaient le droit de faire des lois. Il faudra donc, dans tous les systèmes, accorder que les individus peuvent faire usage de leur raison, non-seulement pour connaître le caractère des autorités, mais pour juger leurs actes : de là résulte la nécessité d’examiner le contenu aussi bien que la source de la loi.

Remarquez que ceux mêmes qui déclarent l’obéissance implicite aux lois quelles qu’elles soient de devoir rigoureux et absolu, exceptent toujours de cette règle la chose qui les intéresse. Pascal en exceptait la religion ; il ne se soumettait point à l’autorité de la loi civile en matière religieuse, et il brava la persécution par sa désobéissance à cet égard.

L’auteur anglais, que j’ai cité ci-dessus, a établi que la loi seule créait les délits, et que toute action prohibée par la loi devenait un crime. « Un délit, dit-il, est un acte dont il résulte du mal : or, en attachant une peine à une action, la loi fait qu’il en résulte du mal. » À ce compte, la loi peut attacher une peine à ce que je sauve la vie de mon père, à ce que je le livre au bourreau. En sera-ce assez pour faire un délit de la piété filiale ? Et cet exemple, tout horrible qu’il est, n’est pas une vaine hypothèse. N’a-t-on pas vu condamner, au nom de la loi, des pères pour avoir sauvé leurs enfants, des enfants pour avoir secouru leurs pères ?

Bentham se réfute lui-même lorsqu’il parle des délits imaginaires. Si la loi suffisait pour créer les délits, aucun des délits créés par la loi ne serait imaginaire. Tout ce qu’elle aurait déclaré délit serait tel.

L’auteur anglais se sert d’une comparaison très-propre à éclaircir la question. « Certains actes innocents par eux-mêmes, dit-il, sont rangés parmi les délits, comme chez certains peuples des aliments sains sont