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de l’administration comme à tous les citoyens, c’est le jugement par jurés.

Qu’on ne craigne pas que les instruments de l’autorité, comptant, pour justifier leur désobéissance, sur l’indulgence des jurés, soient trop enclins à désobéir. Leur tendance naturelle, favorisée encore par leur intérêt et leur amour-propre, est toujours l’obéissance. Les faveurs de l’autorité sont à ce prix. Elle a tant de moyens secrets pour les dédommager des inconvénients de leur zèle ! Si le contre-poids avait un défaut, ce serait plutôt d’être inefficace ; mais ce n’est au moins pas une raison pour le retrancher. Les jurés eux-mêmes ne prendront point avec exagération le parti de l’indépendance dans les agents du pouvoir. Le besoin de l’ordre est inhérent à l’homme ; et dans tous ceux qui sont revêtus d’une mission, ce penchant se fortifie du sentiment de l’importance et de la considération dont ils s’entourent, en se montrant scrupuleux et sévères. Le bon sens des jurés concevra facilement qu’en général la subordination est nécessaire, et leurs décisions seront d’ordinaire en faveur de la subordination.

L’on dira que je mets l’arbitraire dans les jurés : mais vous le mettez dans les ministres. Il est impossible, je le répète, de tout régler, de tout écrire, et de faire de la vie et des relations des hommes entre eux un procès-verbal rédigé d’avance, où les noms seuls restent en blanc, et qui dispense à l’avenir les générations qui se succèdent, de tout examen, de toute pensée, de tout recours à l’intelligence. Or, si, quoi qu’on fasse, il reste toujours dans les affaires humaines quelque chose de discrétionnaire, je le demande, ne vaut-il pas mieux que l’exercice du pouvoir que cette portion discrétionnaire exige soit confié à des hommes qui ne l’exercent que dans une seule circonstance, et qui ne se corrompent ni