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être saisis par toutes les mains, et retournés contre leurs premiers maîtres, et que l’intelligence qui porte l’homme à l’examen lui sert aussi à distinguer le droit d’avec la force, et celui à qui appartient le commandement de celui qui l’usurpe.

Qu’en thèse générale la discipline soit la hase indispensable de toute organisation militaire, que la ponctualité dans l’exécution des ordres reçus soit le ressort nécessaire de toute administration civile, nul doute. Mais cette règle a des limites : ces limites ne se laissent pas décrire, parce qu’il est impossible de prévoir tous les cas qui peuvent se présenter ; mais elles se sentent, la raison de chacun l’en avertit. Il en est juge, et il en est nécessairement le seul juge : il en est le juge à ses risques et périls. S’il se trompe, il en porte la peine. Mais on ne fera jamais que l’homme puisse devenir totalement étranger à l’examen, et se passer de l’intelligence que la nature lui a donnée pour se conduire, et dont aucune profession ne peut le dispenser de faire usage.

Sans doute la chance d’une punition pour avoir obéi jettera quelquefois les agents subalternes dans une incertitude pénible. Il serait plus commode pour eux d’être des automates zélés ou des dogues intelligents. Mais il y a incertitude dans toutes les choses humaines. Pour se délivrer de toute incertitude, l’homme devrait cesser d’être un être moral. Le raisonnement n’est qu’une comparaison des arguments, des probabilités et des chances. Qui dit comparaison dit possibilité d’erreur, et par conséquent incertitude. Mais à cette incertitude il y a, dans une organisation politique bien constituée, un remède qui non-seulement répare les méprises du jugement individuel, mais qui met l’homme à l’abri des suites trop funestes de ces méprises, lorsqu’elles sont innocentes. Ce remède, dont il faut assurer la jouissance aux agents