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sance est dangereuse ? Dans quelle impuissance vous placez tous ceux qui sont investis du commandement ! Dans quelle incertitude vous jetez tous ceux qui sont chargés de l’exécution ?

Je réponds d’abord : si vous prescrivez aux agents de l’autorité le devoir absolu d’une obéissance implicite et passive, vous lancez sur la société humaine des instruments d’arbitraire et d’oppression, que le pouvoir aveugle ou furieux peut déchaîner à volonté. Lequel des deux maux est le plus grand ?

Mais je crois devoir remonter ici à quelques principes plus généraux sur la nature et la possibilité de l’obéissance passive.

Cette obéissance, telle qu’on nous la vante et qu’on nous la recommande, est, grâce au ciel, complètement impossible. Même dans la discipline militaire, cette obéissance passive a des bornes que la nature des choses lui trace, en dépit de tous les sophismes. On a beau dire que les armées doivent être des machines, et que l’intelligence du soldat est dans l’ordre de son caporal. Un soldat devrait-il, sur l’ordre de son caporal ivre, tirer un coup de fusil à son capitaine ? Il doit donc distinguer si son caporal est ivre ou non ; il doit réfléchir que le capitaine est une autorité supérieure au caporal. Voilà de l’intelligence et de l’examen requis dans le soldat. Un capitaine devrait-il, sur l’ordre de son colonel, aller, avec sa compagnie, aussi obéissante que lui, arrêter le ministre de la guerre ? Voilà donc de l’intelligence et de l’examen requis dans le capitaine. Un colonel devrait-il, sur l’ordre du ministre de la guerre, porter une main attentatoire sur la personne du chef de l’État ? Voilà donc de l’intelligence et de l’examen requis dans le colonel. On ne réfléchit pas, en exaltant l’obéissance passive, que les instruments trop dociles peuvent