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Lord North n’a pas même été accusé. Mais en le menaçant d’une accusation, ses antagonistes ont reproduit les principes de la liberté constitutionnelle et proclamé le droit de chaque fraction d’un État à ne supporter que les charges qu’elle a consenties[1].

Enfin, plus anciennement encore, les persécuteurs de M. Wilkes n’ont été punis que par des amendes ; mais la poursuite et le jugement ont fortifié les garanties de la liberté individuelle, et consacré l’axiome que la maison de chaque Anglais est son asile et son château fort.

Tels sont les avantages de la responsabilité, et non pas quelques détentions et quelques supplices.

La mort, ni même la captivité d’un homme n’ont jamais été nécessaires au salut d’un peuple ; car le salut d’un peuple doit être en lui-même. Une nation qui craindrait la vie ou la liberté d’un ministre dépouillé de sa puissance serait une nation misérable. Elle ressemblerait à ces esclaves qui tuaient leurs maîtres, de peur qu’ils ne reparussent le fouet à la main.

Si c’est pour l’exemple des ministres à venir qu’on veut diriger la rigueur sur les ministres déclarés coupables, je dirai que la douleur d’une accusation qui retentit dans l’Europe, la honte d’un jugement, la privation d’une place éminente, la solitude qui suit la disgrâce et que trouble le remords, sont pour l’ambition et pour l’orgueil des châtiments suffisamment sévères, des leçons suffisamment instructives.

Il faut observer que cette indulgence pour les ministres, dans ce qui regarde la responsabilité, ne compromet en rien les droits et la sûreté des individus : car

  1. Frédéric North, comte de Guildford, né en 1733, chancelier de l’Échiquier en 1767, premier lord de la Trésorerie de 1770 à 1782, mort en 1792.
    (Note de l’éditeur.)