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il affirmait sa foi républicaine dans une brochure intitulée : De la forme du gouvernement actuel de la France et de la nécessité de s’y rallier. Ce gouvernement, c’était le Directoire organisé par la constitution de l’an III, et quand on compare les arguments dont il use en faveur de ce nouveau pouvoir à ceux qui, de notre temps même, ont été mis en avant pour faire accepter ou consolider la troisième république, on est frappé de l’analogie qu’ils présentent entre eux : il veut la République, « parce qu’il désire ardemment voir se terminer la Révolution ; » qu’elle peut seule donner au pays l’ordre et la liberté et que « son affermissement est attaché à tout ce qu’il y a de noble et de grand dans les destinées humaines. » Mais l’analogie n’est pas seulement dans les arguments, elle est aussi dans les faits, et quand on voit Benjamin Constant pris, comme M. Thiers, pour un monarchiste par ceux qui désirent la monarchie, quand on le voit déclarer, comme M. Thiers, que la République est le seul gouvernement possible, n’est-on point autorisé à se demander si le présent est autre chose que le passé qui recommence ?

Benjamin Constant avait toujours aimé la France ; il s’autorisa de l’article 22 de la loi du 9 décembre 1790 pour demander le titre de citoyen français, en sa qualité de fils de religionnaire ; ce titre lui fut accordé par le Directoire : il s’en fit une arme pour répondre à ceux qui lui reprochaient de se mêler des affaires d’un pays auquel il était étranger par sa naissance, et dès ce moment il prit une part de plus en plus active à la politique militante. Les événements marchaient vite : une constitution nouvelle, celle de l’an VIII, semblait promettre au pays le repos auquel il aspirait ; le Tribunat venait d’être créé, et pour mieux masquer ses desseins Bonaparte, premier consul, y fit entrer les hommes qui lui paraissaient le plus dévoués aux institutions républicaines. Benjamin Constant fut du nombre, avec l’austère et vertueux Daunou, Chénier, Ginguené, Gallois et Andrieux ; mais déjà, ainsi que l’a dit Victor Hugo, Napoléon perçait sous Bonaparte : il présenta un projet de loi au Tribunat, en lui donnant trois jours pour l’examiner, l’adopter, et désigner les orateurs qui devaient le soutenir au Corps législatif. Benjamin Constant protesta contre ce vote au pas de charge, en dé-