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hommes qui pensent que, pour les délits des ministres, comme pour ceux des individus, un châtiment positif et sévère est d’une justice exacte et d’une nécessité absolue. Je ne partage pas cette opinion. La responsabilité me semble devoir atteindre surtout deux buts, celui d’enlever la puissance aux ministres coupables, et celui d’entretenir dans la nation, par la vigilance de ses représentants, par la publicité de leurs débats, et par l’exercice de la liberté de la presse, appliqué à l’analyse de tous les actes ministériels, un esprit d’examen, un intérêt habituel au maintien de la constitution de l’État, une participation constante aux affaires, en un mot un sentiment animé de la vie politique.

Il ne s’agit donc pas, en ce qui tient à la responsabilité, comme dans les circonstances ordinaires, de pourvoir à ce que l’innocence ne soit jamais menacée, et à ce que le crime ne demeure jamais impuni. Dans les questions de cette nature, le crime et l’innocence sont rarement d’une évidence complète. Ce qu’il faut, c’est que la conduite des ministres puisse être facilement soumise à une investigation scrupuleuse, et qu’en même temps beaucoup de ressources leur soient laissées pour échapper aux suites de cette investigation, si leur délit, fût-il prouvé, n’est pas tellement odieux qu’il ne mérite aucune grâce, non-seulement d’après les lois positives, mais aux yeux de la conscience et de l’équité universelle, plus indulgente que les lois écrites.

Cette douceur dans l’application pratique de la responsabilité n’est qu’une conséquence nécessaire et juste du principe sur lequel toute sa théorie repose.

J’ai montré qu’elle n’est jamais exempte d’un certain degré d’arbitraire : or l’arbitraire est dans toute circonstance un grave inconvénient.

S’il atteignait les simples citoyens, rien ne pourrait