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saints de la reconnaissance et de l’affection. Car le zèle irrégulier est pourtant du zèle, et les hommes ne sauraient punir sans ingratitude le dévouement qu’ils ont accepté. Vous le contraignez ainsi à un acte de lâcheté et de perfidie ; vous le livrez aux remords de sa conscience, vous l’avilissez à ses propres yeux ; vous le déconsidérez aux yeux de son peuple. C’est ce que firent les Anglais, en obligeant Charles Ier à signer l’exécution de Stafford et le pouvoir royal dégradé fut bientôt détruit.

Si vous voulez conserver à la fois la monarchie et la liberté, luttez avec courage contre les ministres pour les écarter : mais dans le prince, ménagez l’homme en honorant le monarque. Respectez en lui les sentiments du cœur, car les sentiments du cœur sont toujours respectables. Ne le soupçonnez pas d’erreurs que la constitution vous ordonne d’ignorer. Ne le réduisez pas surtout à les réparer par des rigueurs qui, dirigées sur des serviteurs trop aveuglément fidèles, deviendraient des crimes.

Et remarquez que si nous sommes une nation, si nous avons des élections libres, ces erreurs ne seront pas dangereuses. Les ministres, en demeurant impunis, n’en seront pas moins désarmés. Que le prince exerce en leur faveur sa prérogative, la grâce est accordée, mais le délit est reconnu, et l’autorité échappe au coupable, car il ne peut ni continuer à gouverner l’État avec une majorité qui l’accuse, ni se créer, par des élections nouvelles, une nouvelle majorité, puisque dans ces élections l’opinion populaire replacerait au sein de l’assemblée la majorité accusatrice.

Que si nous n’étions pas une nation, si nous ne savions pas avoir des élections libres, toutes nos précautions seraient vaines. Nous n’emploierions jamais les moyens constitutionnels que nous préparons. Nous