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négociations, puisque les ministres leur en doivent un compte, lorsqu’elles sont terminées, paraissent d’abord aussi en état que les pairs de décider si ces ministres méritent l’approbation ou le blâme, l’indulgence ou le châtiment. Mais les représentants de la nation, électifs pour un espace de temps limité, et ayant besoin de plaire à leurs commettants, se ressentent toujours de leur origine populaire et de leur situation qui redevient précaire à des époques fixes. Cette situation les jette dans une double dépendance, celle de la popularité et celle de la faveur. Ils sont d’ailleurs appelés à se montrer souvent les antagonistes des ministres, et par cela même qu’ils peuvent devenir leurs accusateurs, ils ne sauraient être leurs juges.

Quant aux tribunaux ordinaires, ils peuvent et doivent juger les ministres coupables d’attentats contre les individus ; mais leurs membres sont peu propres à prononcer sur des causes qui sont politiques bien plutôt que judiciaires ; ils sont plus ou moins étrangers aux connaissances diplomatiques, aux combinaisons militaires, aux opérations de finances : ils ne connaissent qu’imparfaitement l’état de l’Europe, ils n’ont étudié que les codes des lois positives, ils sont astreints, par leurs devoirs habituels, à n’en consulter que la lettre morte, et à n’en requérir que l’application stricte. L’esprit subtil de la jurisprudence est opposé à la nature des grandes questions qui doivent être envisagées sous le rapport public, national, quelquefois même européen, et sur lesquelles les pairs doivent prononcer comme juges suprêmes, d’après leurs lumières, leur honneur et leur conscience.

Car la constitution investit les pairs d’un pouvoir discrétionnaire, non-seulement pour caractériser le délit, mais pour infliger la peine.