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traire, à une Histoire de la civilisation graduelle des Grecs par les colonies égyptiennes ; se mariant pour se divorcer peu de temps après, et toujours mal vu des Allemands, parce qu’il avait autant d’esprit qu’ils en avaient peu, et qu’il aimait la France, dont ils étaient alors aussi bassement jaloux qu’ils le sont encore aujourd’hui. En 1795, il prit enfin la résolution de quitter la petite cour dont il était « le gentilhomme le plus extraordinaire » et vint se fixer à Paris.

À dater de cette époque, il entre définitivement dans son rôle.


II

Lors de son premier séjour en France, en 1787, Benjamin Constant, nous l’avons vu plus haut, avait été reçu avec une grande bienveillance par M. Necker. En 1795, il trouva près de sa fille, madame de Staël, le même accueil empressé, et bientôt une sympathie profonde rapprocha ces deux natures d’élite, « ces deux âmes faites l’une pour l’autre, comme le dit M. Laboulaye, et qui se complétaient mutuellement. »

Femme de l’ambassadeur de Suède près la République française, madame de Staël avait profité de la sauvegarde diplomatique que lui assurait le titre de son mari, pour ouvrir son salon aux hommes marquants de tous les partis. Ce salon, si justement célèbre, « était peuplé, dit Benjamin Constant, de quatre à cinq tribus différentes : des membres

    une belle cocarde sur la tête, je me suis assis, étendu, chauffé, promené. « Vous ne tanze pas, monsieur le baron ? — Non, madame. — Der Herr Kammerjunker tanzen nicht. — Nein, Euere Excellenz. — Votre Altesse Sérénissime a beaucoup dansé. — Votre Altesse Sérénissime aime beaucoup la danse. — Votre Altesse Sérénissime dansera-t-elle encore ? — Votre Altesse Sérénissime est infatigable. » À une heure à peu près je pris une indigestion d’ennui et je m’en allai avant les autres.

    « Les Allemands, dit Benjamin Constant, sont lourds en raisonnant, en plaisantant, en s’attendrissant, en se divertissant, en s’ennuyant… Ils croient qu’il faut être hors d’haleine pour être gai, et hors d’équilibre pour être poli. »