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propre l’insouciance ; on voit couler le sang à côté des fêtes ; on étouffe la sympathie en stoïcien farouche ; on se précipite dans le plaisir en sybarite voluptueux.

Lorsqu’un peuple contemple froidement une succession d’actes tyranniques, lorsqu’il voit sans murmure les prisons s’encombrer, se multiplier les lettres d’exil, croit-on qu’il suffise, au milieu de ce détestable exemple, de quelques phrases banales pour ranimer les sentiments honnêtes et généreux ? L’on parle de la nécessité de la puissance paternelle ; mais le premier devoir d’un fils est de défendre son père opprimé ; et lorsque vous enlevez un père du milieu de ses enfants, lorsque vous forcez ces derniers à garder un lâche silence, que devient l’effet de vos maximes et de vos codes, de vos déclamations et de vos lois ? L’on rend hommage à la sainteté du mariage ; mais sur une dénonciation ténébreuse, sur un simple soupçon, par une mesure qu’on appelle de police, on sépare un époux de sa femme, une femme de son mari ! Pense-t-on que l’amour conjugal s’éteigne et renaisse tour à tour, comme il convient à l’autorité ? L’on vante les liens domestiques ; mais la sanction des liens domestiques, c’est la liberté individuelle, l’espoir fondé de vivre ensemble, de vivre libres, dans l’asile que la justice garantit aux citoyens. Si les liens domestiques existaient, les pères, les enfants, les époux, les femmes, les amis, les proches de ceux que l’arbitraire opprime se soumettraient-ils à cet arbitraire ? On parle de crédit, de commerce, d’industrie ; mais celui qu’on arrête a des créanciers dont la fortune s’appuie sur la sienne, des associés intéressés à ses entreprises. L’effet de sa détention n’est pas seulement la perte momentanée de sa liberté ; mais l’interruption de ses spéculations, peut-être sa ruine. Cette ruine s’étend à tous les co-partageants de ses intérêts. Elle s’étend plus loin encore ; elle