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cherche dans l’exagération présente une garantie de durée à venir ; et faute de pouvoir placer les fondements de son édifice à une juste profondeur, on bouleverse le terrain et l’on creuse des abîmes.

Ainsi naissent et se succèdent, dans les révolutions, les crimes ; dans les réactions, les excès ; et ils ne s’arrêtent que lorsque l’arbitraire finit.

Mais cette époque est difficile à atteindre. Rien n’est plus commun que de changer d’arbitraire : rien n’est plus rare que de passer de l’arbitraire à la loi.

Les hommes de bien s’en flattent, et cette erreur n’est pas sans danger. Ils pensent qu’il est toujours temps de rendre légaux les effets de l’arbitraire. Ils se proposent de ne faire usage de cette ressource que pour aplanir tous les obstacles, et après avoir détruit par son secours, c’est à l’aide de la loi qu’ils veulent réédifier.

Mais pendant qu’ils emploient ainsi l’arbitraire, ils en prennent l’habitude, il la donnent à leurs agents ; ceux qui en profitent la contractent ; et comme rien n’est plus commode, plus aplanissant, cette habitude se perpétue bien au-delà de l’époque où l’on s’était prescrit de la déposer, et la loi se trouve indéfiniment ajournée.

J’ai déjà exposé ce système dans un ouvrage, où l’on a démêlé, dit-on, beaucoup de machiavélisme[1]. J’aurais cru néanmoins que rien n’était plus contraire au machiavélisme que le besoin de principes positifs, de lois claires et précises : en un mot, d’institutions tellement

  1. C’est le pamphlet publié en 1796, et intitulé : De la force du gouvernement actuel de la France, et de la nécessité de s’y rallier. C’est la première ébauche du traité Des réactions ; ce sont les mémés idées, exposées par un jeune homme qui débute et qui n’est pas sûr de lui. Nous avons jugé inutile de réimprimer ce pamphlet qui s’occupe des hommes plus que des principes. Il est moins curieux par ce qu’il contient, que parce qu’il est le premier écrit politique de l’auteur.
    (Note de M. Laboulaye.)