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Nous voyons enfin comment l’arbitraire, dans un gouvernement, donne à la sûreté individuelle de ceux qui gouvernent une garantie insuffisante. Les monstres qui avaient massacré sans jugement, ou par des jugements arbitraires, tombèrent sans jugement, ou par un jugement arbitraire. Ils avaient mis hors la loi, et ils furent mis hors la loi.

L’arbitraire n’est pas seulement funeste lorsqu’on s’en sert pour le crime. Employé contre le crime, il est encore dangereux. Cet instrument de désordre est un mauvais moyen de réparation.

La raison en est simple. Dans le temps même que quelque chose s’opère par l’arbitraire, on sent que l’arbitraire peut détruire son ouvrage, et que tout avantage qu’on doit à cette cause est un avantage illusoire ; car il attaque ce qui est la base de tout avantage, la durée. L’idée d’illégalité, d’instabilité, accompagne nécessairement tout ce qui se fait ainsi. L’on a la conscience d’une sorte de protestation tacite, contre le bien, comme contre le mal, parce que l’un et l’autre paraissent frappés de nullité dans leur base.

Ce qui attache les hommes au bien qu’ils font, c’est l’espérance de le voir durer. Or, jamais ceux qui font le bien par l’arbitraire ne peuvent concevoir cette espérance ; car l’arbitraire d’aujourd’hui prépare la voie pour celui de demain, et ce dernier peut être en sens opposé de l’autre.

Il en résulte un nouvel inconvénient, c’est qu’on cherche à remédier à l’incertitude par la violence. On s’efforce d’aller si loin qu’il ne soit plus possible de rétrograder. On veut se convaincre soi-même de l’effet que l’on produit ; on outre son action pour la rendre stable. On ne croit jamais en avoir assez fait pour ôter à son ouvrage la tache ineffaçable de son origine. On