Page:Considérant - Description du phalanstère et considérations sociales sur l’architectonique.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
description du phalanstère.

vations, il vît d’un œil philosophique tous les plaisirs des riches, qu’il n’aimât pas aussi les plaisirs à sa portée, qu’il ne s’oubliât jamais, qu’il eût toujours prudence, raison, tempérance ? Il fallait être conséquent. Si on ne voulait, si on ne pouvait pas améliorer son sort, il fallait le laisser dans son ignorance et son apathie avec les consolations religieuses qui lui manquent maintenant : les droits politiques sont de vains mots pour le peuple ouvrier. Et les femmes, qui, même dans le bon temps, gagnent si peu, comment voulez-vous qu’elles aient des épargnes ?

J’ai vu des femmes expirant sur une paillasse, sans draps, sans couverture, entourées d’enfants faméliques ; oui, j’ai vu des enfants sucer avidement les mamelles vides et flétries de mères moribondes ; déjà glacées, elles s’efforçaient de les réchauffer, seules, sans aide, sans secours pour elles-mêmes.

Les soins incomplets, à contre-sens, dictés par de stupides préjugés, tels que les pauvres les donnent et les reçoivent, mais qui du moins sont un ralliement sympathique, une consolation, tous ne les ont pas eus : dans ce chaos de la population, l’isolement est tel, que quelques-uns sont morts sans qu’on ait su leur maladie, révélée enfin par la puanteur des cadavres pourris[1].

Puisse mon récit exciter votre pitié ; il n’est point exagéré. Ah ! si vous aviez vu !

Mais ces misères, elles vous atteignent : les miasmes exhalés des habitations du pauvre se répandent dans toute la ville, et vous les respirez incessamment mêlés à ceux des ruisseaux et des cloaques de toutes sortes. Paris, même dans ses quartiers les plus brillans, est bien sale et bien infect ; si l’administration a fait élargir quelques rues, déblayer quelques places, les spéculateurs, par compensation, ont détruit les jardins qui épuraient un peu l’air, ont entassé étage sur étage et rétréci vos appartements ; les chances de la bourse et du commerce, les catastrophes de l’industrie ont troublé votre sommeil ; les révolutions, les émeutes ont porté l’effroi dans vos cœurs, et les maladies ont eu un libre accès. Bien qu’il vous ait moins accablé que les pauvres, le choléra ne

  1. Deux faits semblables ont eu lieu dans le faubourg Saint-Antoine pendant le peu de jours que j’ai passés à l’ambulance de la Bastille.